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arts-ticulation
8 janvier 2012

Carmen Tisch - un acte de désacralisation

En 2006, Pinoncelli donnait un coup de marteau sur l’urinoir « Fontaine » [1] œuvre de Marcel Duchamp. Ce geste iconoclaste, destruction d’une œuvre d’art, se réclamait être dans la continuité des idées de Duchamp (le devenir qu’il aurait souhaité pour son œuvre).

Acte artistique ou destruction ? L’acte de Pinoncelli mettait la justice dans l’embarras, car elle devait statuer sur 2 points : en quoi l’urinoir était une œuvre qui justifiait les sommes exorbitantes demandées par le Centre Pompidou ? Est-ce que l’acte de Pinoncelli relevait d’un geste artistique ou d’une tentative de destruction par un déséquilibré ? La justice n’a pas voulu trancher et a considéré l’acte uniquement sous l’angle de la dégradation. Pinoncelli fut condamné à des frais de réparation (14 352€) et à 3 mois de prison avec sursis.

Carmen Tisch, a changé l’angle d’attaque en donnant de sa personne par un acte « impudique » dans l’enceinte d’un musée [2]. Cette Américaine de 36 ans s'est servie d'une toile de Clyfford Still comme d'un papier WC. Le 29 décembre 2011, elle a d'abord mis un coup de poing à la toile «1957-J no.2», l'a égratignée, puis a retiré son pantalon et ses sous-vêtements, pour frotter ses fesses contre la peinture. Selon la porte-parole de la police de Denver, Carmen Tisch a également essayé d'uriner sur la toile.

Il y a des notables différences entre les deux situations :  
Pinoncelli appartient au sérail artistique (il est présenté comme un artiste performeur reconnu). Il justifie sa tentative de destruction de l’urinoir comme nécessaire au devenir de l’œuvre et à sa sacralisation (hommage à Marcel Duchamp et mise en valeur historique de l’urinoir). Il affirmera lors du procès en appel que son geste a même augmenté la valeur financière de l’objet.
Carmen Tisch est une profane, elle ne produit pas un discours de justification qui emprunterait au champ culturel de l’art sa rhétorique. En « souillant », par des fluides corporels ou excrémentiels [3], la toile de Clyfford Still, elle la désacralise. Son acte, par les symboles qu’il véhicule, réduit cette surface peinte à ce qu’elle devrait être : une surface quelconque qui n’aurait de sens que par un intérêt utilitaire [4]. La posture de Carmen rejoint celle partagée par les milieux populaires : comment un objet banal devient par la magie de la machine médiatique, le lieu d’exposition (le Musée) et l’inscription de l’auteur dans l’histoire de l’Art (la Culture), un objet sacré que confirme son prix [5]. L’acte de Carmen Tisch incarne le jugement populaire sur l’art contemporain et l’abîme qui les sépare [6].

[1]En 2011, l’urinoir de M. Duchamp était estimé à 2,8 millions €
[2]A Denver, le musée Clyfford Still a ouvert le 18 novembre 2011 pour exposer les 2 400 œuvres de l'artiste, considéré comme le maître de l'expressionisme abstrait américain.
[3] « Merde d’artiste » de Manzoni était la démonstration critique des dérives du postulat de Duchamp par le marché de l’art : n’importe quoi est de l’art s’il représente une potentialité d’investissement financier. Chaque boite était estimée en 2011 à 30 500€
[4]Distinct du cas de Sam Randy qui avait déposé en 2007 un baiser (geste d’amour) sur une œuvre de Cy Twombly. Elle a été condamnée en appel en France à verser 18 450 euros en compensation des travaux de restauration (trace de rouge à lèvres sur une toile blanche) + 100h de travaux d’intérêt général.
[5]La toile de Clyfford Still « 1957-J no.2 » est estimée à 30 millions de dollars. Les dommages sur la toile sont estimés à 10.000 dollars.
[6] A relire : Pierre Bourdieu « L’Amour de l’art - Les musées d’arts européens et leurs publics » 1966

Clyfford_Still___1957_J_n_2

Clyfford Still « 1957-J no.2 » huile sur toile

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Commentaires
J
Une femme de ménage jette une œuvre d'art à la poubelle – 18-02-2014<br /> <br /> <br /> <br /> Les faits se sont déroulés le 18 février à la galerie Sala Murat, à Bari, dans le sud de l’Italie. Une femme de ménage a jeté à la poubelle des papiers, du carton et des miettes de biscuit. En fait, il s'agissait d'une œuvre d’art, de l’artiste new-yorkais Paul Branca, une œuvre estimée à 10.000 euros. Mercredi matin, à l’ouverture de la galerie, la sécurité s’était aperçue qu’il manquait des objets. L'employée pensait qu’il s’agissait de détritus abandonnés par les personnes chargées de monter l’exposition.
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